Et oui, on sait s'émerveiller des bonheurs apportés par chaque jour, d'un rien rencontré au détour du chemin, de belles couleurs…! les verts et oranges d'une "pubelle"…!

Elle est posée là, penchée comme une vieille stèle dans un cimetière… la borne verticale des usures, le vase funéraire des détritus… avec son petit personnage penché comme une inscription gravée des âges industriels… et pis taf!

Peut-être que ce n'est pas un nénuphar, peut-être que c'est plutôt une sorte de lilas.

Ou un petit bouton de rose qui s'est réfugié dans l'ombre.

La pousse se fait sans épines ; c'est bizarre de cultiver ce jardin intérieur si discret qu'on ne sait pas qu'il existe. Juste le cœur et le souffle émus qui battent d'autres rythmes. 

En fait, enlever cette fleur inconnue - peut-être du lilas, peut-être un bouton de rose qui pousse dans l'ombre - et la remplacer par du Rien, c'est un rempotage un peu absurde. On sait bien que c'est le vide qui gigote et qui fait son pénible à prendre toute la place.

Comme quoi il y a bien des choses mystérieuses.

"Chloé était allongée sur son lit, vêtue d'un pyjama de soie mauve et d'une longue robe de chambre de satin piqué, d'un léger beige orange. Autour d'elle, il y avait beaucoup de fleurs et surtout, des orchidées et des roses. Il y avait aussi des hortensias, des œillets, des camélias, de longues branches de fleurs de pêcher et d'amandier et des brassées de jasmin. Sa poitrine était découverte et une grosse corolle bleue tranchait sur l'ambre de son sein droit. Ses pommettes étaient un peu roses et ses yeux brillants, mais secs, et ses cheveux légers et électrisés comme des fils de soie.

"Tu vas prendre froid! dit Alise. Couvre toi!

- Non. murmura Chloé. Il le faut. C'est le traitement.

- Quelles jolies fleurs ! dit Alise. Colin est en train de se ruiner, ajouta t'elle gaiement pour faire rire Chloé.

- Oui.", murmura Chloé. Elle eut un pauvre sourire.

"Il cherche du travail, dit elle à voix basse. C'est pour cela qu'il n'est pas là.

- Pourquoi parles-tu comme ça? demanda Alise.

- J'ai soif… dit Chloé dans un souffle.

- Tu ne prends réellement que deux cuillerées par jour ? dit Alise.

- Oui…" soupira Chloé.

Alise se pencha vers elle et l'embrassa.

"Tu vas être bientôt guérie.

- Oui, dit Chloé. Je pars demain avec Nicolas et la voiture.

- Et Colin? demanda Alise.

- Il reste, dit Chloé. Il faut qu'il travaille. Mon pauvre Colin !… il n'a plus de doublezons…

- Pourquoi ? demanda Alise.

- Les fleurs…" dit Chloé."

L'écume des jours, Boris Vian.

c'est le premier roman qui a été un choc littéraire pour moi, plus rien n'a été pareil après.

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