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souvenir d'enfance
Anne m'a demandé d'écrire le récit d'un de mes premiers souvenirs d'enfance.
J'éviterai les tous premiers, en fait, objets de quelques sensations guère racontables!
Je devais avoir deux ans, deux ans et demi.
Je suis en école maternelle. « Un peu jeune mais très éveillée, participe beaucoup à la classe. Trop bavarde cependant. »
Le bavardage m'aura passé avant la fin du cycle primaire, suite à une « médication musclée » : « heures de colle », punition « au coin », ou isolée derrière le tableau pivotant, et le pire, dégoût et humiliation suprêmes, le confinement sous le bureau de la maîtresse comme un chien dans une niche. Libertins, ne fantasmez pas, la maîtresse continuait son enseignement en faisant les cent pas dans la salle et en me laissant suffoquer dans un mélange d'odeurs de contreplaqué verni, de chaussures rancies et de poussière coincée entre les lames grises du parquet. La chaise était avancée et ses pieds de métal servaient de barreaux symboliques.
Mais là, je ne suis pas punie. Je suis si concentrée par mon ouvrage en pâte à modeler que j'ai l'impression d'être à plusieurs bureaux de distance, au moins, de mes camarades. De même, j'ai du naître avec l'option oreilles à clapets, car tout me semble silencieux.
J'ai commencé à aplatir de la pâte verte à en arrondir les bords comme pour préparer un fond de tarte. Je monte un colombin, puis deux, sur le fond de mon futur panier à fruits. Des barres de pâte à modeler rouge et jaune attendent, intactes, la suite des événements.
Soudain, Madame la Directrice du primaire pousse la porte communiquant entre la Classe Préparatoire et la Maternelle. Tout le monde lève la tête. Je suis toujours saisie par la beauté de Madame B., par sa démarche altière. Notre maîtresse l'accueille en bas des trois marches de bois, pleine de respect.
Elles devisent toutes deux en avançant à travers les rangs. Le coeur battant, à la fois éperdue et craintive, j'attends l'arrivée Madame B. comme un bonheur et un verdict.
Elle s'arrête devant mon bureau, m'adresse un sourire radieux, et se penche pour saisir les barres colorées du modelage : elle façonne rapidement une anse et quelques sphères. En un tournemain elle a réalisé une corbeille emplie de fruits. « Et voilà, tu peux faire un panier avec des cerises par exemple », dit-elle en passant une main sur ma tête ornée de deux grandes couettes, celles qu'elle a coiffées le matin même. Mon regard passe du chef-d'oeuvre à ses yeux d'un bleu éclatant.
J'expire d'un "oui". Je ne sais plus si je lui ai dit ou non que c'était justement ce que j'allais faire.
Je me rappelle seulement qu'en moi, silencieusement, tout a explosé.
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Commentaires
1Grenouille de BénMardi 28 Mars 2006 à 12:00Ah les souvenirs d'école, j'en rêve encore... Et c'est l'angoisse. Mes institutrices à moi étaient toutes laides ! Et méchantes.Répondre2fazouMardi 28 Mars 2006 à 12:00Tu en rêves encore?? Elles ne tapaient pas les élèves avec les règles en bois au moins!L'école maternelle, il n'y a que ça de vrai!Dire que j'ai dû faire de longues études pour retourner faire de la pâte à modeler!3AnneMardi 28 Mars 2006 à 12:00Oh quel beau souvenir ! Merci merci de nous l'avoir raconté !Et tu as raison, l'école maternelle, il n'y a que ça de vrai.4fazouMardi 28 Mars 2006 à 12:00Et pis z'ai presque le droit de faire des fôtes -"le groit", comme disait Mr Petite Pomme, véritable élève de maternelle, lui!-5fazouMardi 28 Mars 2006 à 12:00C'est fou ce que ces souvenirs nous font ressentir l'âge de nos jeune artères, hein! :0010:Cet épisode a en tout cas été longtemps une source de frustration! Certes il n'a rien gouaché, pardon gâché, et même, si cela se trouve, il m'a motivée pour continuer de mettre la main à la pâte (à modeler, à gribouiller, s'entend!)!6samantdiMardi 28 Mars 2006 à 12:00Ah, la pâte à modeler, c'était chouette ! Et les tableaux en mosaïque, les autres en plâtre avec des moulures à peindre. J'ai adoré l'école maternelle, moi aussi !7fazouMercredi 29 Mars 2006 à 12:00Oh, et puis c'était bien de pouvoir papoter!(psst… Tu ne continues pas les activités manuelles/artistiques, à l'occasion?…)8LE LAPINJeudi 30 Mars 2006 à 12:00J'ai peu de souvenirs de maternelle, mais j'aimais pas vraiment, j'avais peur... Et puis plus tard en CM on me dicta l'orthographe à coup de règles sur la tête.9philippe charpentierJeudi 30 Mars 2006 à 12:00je m'etonne que tu arrives a remonter aussi loin! ...c'est fascinant le passé c'est comme les rêves.10fazouJeudi 30 Mars 2006 à 12:00Le Lapin,Peur de l'école même en maternelle?! C'étaient des furies ou quoi?Bisou la tête!:0010:De nos jours, l'excès serait-il inverse? La moindre réprimande et les avocats accourent, ou presque!Philippe,J'ai des bribes de souvenirs encore plus anciens, mais c'est comme pour la cuisine: quand c'est bon, on baigne dans une sensation floue et envahissante de bien-être mais quand c'est peu agréable, le souvenir se fragmente en détails ciselés...Et en effet les rêves et le passé se mélangent, les rêves nous reconstruisent, tout comme nous reconstruisons notre passé.11dianeLundi 3 Avril 2006 à 12:00La concentration d'un enfant lorsqu'il est passionné par ce qu'il fait.. !! c'est étonnantC'est vrai pour les oreilles à clapets je l'ai constaté,chez des enfants..plus rien n'existe autour d'eux c'est magique...A chaque fois,je les regarde,pour voir... jusqu'au moment.. où..,il y a un blocage et là,ils se rappellent qu'ils ne sont pas tout seul.12fazouMardi 4 Avril 2006 à 12:00Heu… Pour les adultes aussi, ça arrive… Dans un de mes anciens jobs c'est mon voisin qui a répondu à la question que me posait mon patron… Polie, hein… j'entendais vaguement, mais j'étais trop concentrée sur mon job et le passage au langage ne se faisait pas!13dianeMardi 4 Avril 2006 à 12:00J'aimerai que cela m'arrive..Pas que je ne sois pas concentrée. (bien au contraire .)...Mais de ne plus entendre ce que les autres disent...de temps en temps.
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